Le blog - Fragilité des salariés, maladies & maintien en emploi

Billet ajouté le 27 février 2023 à 14h37

Depuis une vingtaine d’années, le 4 février marque la journée mondiale contre le cancer. Cette année, celle-ci intervient quelques jours après la prise de parole particulièrement remarquée du Président-Directeur Général de Publicis, Arthur Sadoun, qui a évoqué publiquement son cancer lors du Forum économique mondial de Davos, en Suisse (voir aussi prise de parole une vidéo réalisée pour Brut).

 

Le patron français a lancé à cette occasion le collectif« working with a cancer pledge », la première coalition mondiale d’entreprises contre la stigmatisation du cancer au travail. Soutenu par plusieurs grandes entreprises comme Accor, Axa, Google, Carrefour, L’Oréal, Nestlé, La Poste, Toyota, Unilever ou encore Sodexo, le collectif s’engage en faveur d’une culture d’entreprise plus ouverte, plus solidaire et plus favorable à l’intégration des salariés atteints de cancer.

 

Car vivre et travailler avec un cancer est une réalité.

 

En France, chaque année, près de 400 000 personnes apprennent qu’elles ont un cancer. Parmi elles, 160 000 sont en emploi au moment du diagnostic. On estime que le cancer touche 15% des actifs. Ce sera 25% en 2025.

 

Un salarié sur deux atteint d'un cancer a peur d'en parler à son employeur, indique le dernier baromètre réalisé par Cancer@Work en 2021. Dans les faits, rien n’oblige à parler de son état de santé à son employeur.

 

Si les progrès thérapeutiques permettent aujourd'hui de vivre et de travailler avec un cancer et si ce sujet est particulièrement abordé c’est que les cancers sont les plus représentés en nombre dans le monde du travail.

 

Il faut cependant considérer le sujet sous un angle plus large en intégrant des pathologies comme d’autres maladies graves ou chroniques (maladies cardiovasculaires, sclérose en plaques, endométriose, diabète, maladies mentales...).

 

A cela se rajoute pour les personnes en activité la question d’une fragilité subite. Liée aux aléas de la vie (maladie – perte d’autonomie d’un proche et deuil) elle met le salarié dans une situation personnelle difficile, celle de proche aidant.

 

Les chiffres inquiétants de la fragilité au travail.

 

Plus d’un salarié sur deux (56 %) dit connaître une situation de fragilité, et 91 % des dirigeants déclarent employer au moins un collaborateur dans ce cas selon une étude de Malakoff Humanis. Aussi, 19 % estiment connaître à la fois une fragilité personnelle et professionnelle. Si tous les profils sont concernés, l’étude met en évidence une sur-représentation des femmes, des seniors, des faibles revenus et des personnes qui ont connu de longues périodes d’inactivité.

 

La fragilité au travail : toujours tabou dans l’entreprise ?

 

Le « silence » des salariés, qui vivent le plus souvent leur fragilité de manière isolée, est motivé par ce qu’on peut résumer par « le culte de la performance ». En effet, les salariés expliquent leur discrétion par la crainte du licenciement et la peur d’être pénalisés dans leur vie professionnelle.

 

Le verbatim de l’étude Malakoff Humanis est éloquent :

« Dans le milieu professionnel, on n’a pas le droit d’être fragile » ;

« Je ne veux pas être exclu de l’entreprise ou être jugé par mes collègues parce que j’ai une fragilité ».

 

Montrer ses vulnérabilités même au travail n’est donc pas « tendance » c’est le moins qu’on puisse dire.

 

Mais les choses avancent…

 

Patrick Thomet Directeur de projets chez Malakoff Humanis, qui a été diagnostiqué d’un myélome en mai 2022 a lui aussi décidé d’en parler à son équipe lorsqu’il a dû s’absenter 12 mois.

Il n’a pas hésité à prendre la parole sur LinkedIn ce réseau social professionnel via plusieurs posts.

 

« Partager ce que je vis m’a fait du bien, il y a une vraie catharsis. Les messages, de personnes que je connaissais ou non, m’ont vraiment touché. Ils étaient totalement désintéressés. L’équipe en charge de la communication retraite chez Malakoff Humanis m’a envoyé un colis avec une carte, des livres… Ce sont autant d’attentions qui font plaisir et donnent de l’énergie. 

Parler de cancer dans un cadre professionnel nous renvoie aussi à nos fragilités et à nos vulnérabilités. Cela ne va pas forcément de soi dans une société valorisant la performance, mais c’est plus que jamais nécessaire avec le vieillissement de la population, l’allongement de la durée du travail via la réforme des retraites et la hausse des maladies chroniques. »

 

Parler du cancer pour soi, mais aussi pour les autres.

 

« Il faut vraiment ouvrir ces discussions dans les entreprises et délier les langues sur la maladie ou encore le handicap qui est, rappelons-le, le plus souvent invisible. » 

Ces prises de paroles sont utiles bien au-delà d’un cercle proche et sont de formidables coups d’accélérateur à un mouvement engagé dans le monde du travail depuis plusieurs années.

 

Il est temps pour les entreprises de changer de regard sur la maladie au travail.

 

Pourquoi la prise en compte des collaborateurs malades est-elle un enjeu majeur pour les entreprises ?

 

Vivre et travailler avec une maladie fait désormais partie de nos vies.

 

Cependant les entreprises n’y sont pas assez préparées. Or, quand une personne tombe malade l’équipe est impactée. La maladie au travail demeure synonyme, pour ceux qui sont concernés, de difficultés relationnelles, d’isolement et de démission. Le taux de désinsertion professionnelle est éloquent : un salarié malade sur trois perd son emploi au bout de deux ans après le diagnostic.

 

Pour les entreprises, perdre près de 15 % de ses effectifs signifie une perte de savoirs-faire et de compétences, ainsi que des coûts « invisibles » comme la surcharge de travail et la démotivation d’une équipe, l’absentéisme, le turn-over.

 

Ainsi les dirigeants se retrouvent face à une véritable problématique de performance, celle-ci étant dégradée suite au départ des salariés malades. Ils perdent des collaborateurs qui sont souvent expérimentés, et qui auraient pu rester s’ils avaient été suffisamment accompagnés.

 

Aujourd’hui, 87 % des dirigeants « jugent utiles » de mettre en place des actions pour accompagner les salariés en situation de fragilité.

 

 

Le rôle des dirigeants, des RH, des managers, des collaborateurs dans l’inclusion des salariés malades ?

 

La responsabilité d’engager le dialogue sur le sujet de la maladie avec les salariés malades revient aux chefs d’entreprise. Les accompagner n’est pas une obligation légale, mais une volonté de développer une nouvelle culture d’entreprise.

 

Pour que les salariés malades puissent en parler à leur employeur, encore faudrait-il que ce dernier soit en capacité d'apporter des réponses. Or, les managers s’estiment souvent démunis quand il s’agit d’aborder un sujet relevant davantage de la sphère personnelle / intime, Libérer la parole suppose donc avant tout que salariés et employeurs soient déjà parfaitement informés et accompagnés les salariés n’ont que rarement connaissance des dispositifs mis en place par l’entreprise pour accompagner la fragilité. Le premier chantier est donc celui de la communication, que ce soit en les informant sur les leviers ou en organisant des entretiens individuels pour favoriser la verbalisation ou, à minima, l’expression des signaux de fragilité.

 

Aux DRH revient donc la mission d’anticiper et de créer les conditions d’une meilleure inclusion de la maladie au travail : actions de sensibilisation, programmes de formation, information des salariés sur leurs droits (maintien du salaire, arrêt maladie, dispositifs de soutien…), dispositifs d’accompagnementpour soulager les salariés malades ou aidants d’un proche.

L’idée est de prendre de la distance, de poser le cadre légal et de proposer une mise en œuvre opérationnelle efficace.

 

Les managers, de leur côté, accompagneront la personne malade, ainsi que l’équipe. Plus le salarié sera serein professionnellement, plus il pourra se concentrer sur ses soins. La maladie d’un salarié impacte l’entreprise et l’équipe : il s’agit d’atteindre des objectifs fixés et qui ne pourront souvent pas être revus à la baisse, même avec des ressources modifiées.

Soutenir les salariés malades est une responsabilité pour chacun d’entre nous. Mais bien souvent, les collègues ne savent pas comment réagir. Maintenir le lien avec leur collègue est pourtant essentiel ; il constitue un élément clé de la reprise du travail et une reprise facilitée est précieuse pour l’ensemble de l’équipe. Dans ce cadre aussi, la démocratisation du sujet au sein de l’entreprise et la formation permettra à chacun d’aborder le sujet dans les meilleures conditions et pourquoi pas en ressortir plus soudés, plus forts et plus performants.

 

Et pour aller plus loin…

 

Le maintien et le retour à l’emploi des personnes atteintes de maladies graves est un enjeu systémique qui fait débat. Le problème n’est plus tant la personne ayant (eu) un cancer que la situation professionnelle qu’elle peut (re)trouver avec ou après la maladie. En effet, plus de 70 % des entreprises estiment avoir des difficultés à gérer le retour après un cancer (Institut universitaire de Toulouse).

 

Il s’agit moins de remobiliser la personne, lui redonner confiance, que de faire bouger sa situation professionnelle : trouver des marges de manœuvre, imaginer que le régime de performance attendu puisse bouger, que des « horaires en confiance » puissent permettre de faire coïncider mieux la variabilité de la capacité productive d’un jour à l’autre avec les exigences de l’activité, s’appuyer sur le collectif de travail, etc.

 

Dans un contexte professionnel où les ressources et les talents se font rares le chantier reste ouvert… De la fragilité dans un monde de performance. Les choses sont sûrement à reconsidérer et on a tous à y gagner…

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